L’évaluation immobilière en fiscalité patrimoniale : principes fondamentaux et mécanismes
Conférence ouverte Barreau de Paris du 14/09/2021 animée par Muriel Vigié, avocate, ancienne élève de l’Ecole nationale des impôts.
Périmètre :
- L’évaluation immobilière : exercice nécessaire et indispensable dès qu’un bien fait l’objet d’un transfert de propriété (incidences au niveau professionnel et patrimonial), mais pas seulement (procédure de divorce et liquidation de communauté).
- En fiscalité patrimoniale : DMTG (donation, succession), DMTO, ISF/IFI, Taxe de 3%, …
- Présentation du contrôle valeur réalisé par l’administration fiscale (qui repose sur les 666 du CGI et L. 17 du LPF).
Exclusion : l’évaluation des parts de SCI et des TNC (titres non cotés) représentant des droits/biens immobiliers (fera l’objet d’une prochaine conférence).
Sommaire :
Les principes généraux :
1.A/ La notion de valeur vénale :
- Définitions doctrinales
- Définitions jurisprudentielles
- Définitions réponses ministérielles
1-B/ Le marché immobilier :
- Étude du marché immobilier
- Mutations à retenir/à écarter
1.C/ Les outils pour évaluer :
- Espace particulier impot.gouv Patrim
- Base DVF totale, DVF Etalab, cadastre.gouv
- Base Notaire (abonnement/unité)
- Les méthodes d’évaluation :
2.A/ Les facteurs communs d’évaluation
- Facteurs physiques
- Facteurs juridiques
- Facteurs économiques
2.B/ La méthode par comparaison
2.C/ La méthode d’évaluation par le revenu
2.D/ L’évaluation par la valeur apparente
- Les principes généraux
1.A/ La notion de valeur vénale
Définitions doctrinales :
- « Prix auquel pourrait se vendre ou s’acheter un bien ou un service donné, dans un lieu et un moment déterminé, compte tenu des conditions du marché à ce moment ».
Définitions jurisprudentielles :
- Tribunal de Moulins du 31/01/1951 : « Attendu qu’il n’existe pas de valeur absolue, de valeur intrinsèque ou de valeur raisonnable d’un bien, que cette valeur doit se déterminer par référence au marché, par rapport aux prix des transactions locales et momentanées portant sur des biens comparables en qualité et en quantité (…), attendu que cette méthode, qui ne peut être qu’empirique, est la seule qui procède de la réalité et qui, par conséquent, doit être retenue ».
- Divers arrêts de la Cour de Cassation : « La valeur vénale d’un bien est constituée par le prix qui peut en être obtenu par le jeu de l’offre et de la demande dans un marché réel au jour de la mutation ».
- Définitions issues de réponses ministérielles :
- RM Berard au JO du 13/12/1990 : « La valeur vénale d’un bien est constituée par le prix qui pourrait en être obtenu, à la même date, par le jeu de l’offre et de la demande, dans un marché réel. Elle s’apprécie au moyen d’éléments de comparaison tirés de cessions de biens comparables, intervenues à l’époque considérée ».
- RM Vasseur au JO du 05/11/1990 : « La valeur d’un bien correspond, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, au prix que le jeu normal de l’offre et de la demande permettrait de retirer, a un moment donne, de la vente d’un bien déterminé, abstraction faite de la valeur de convenance qui pourrait être offerte. Elle présente les garanties d’objectivité qu’offre un prix de marche ».
1.B/ Le marché immobilier :
- Etudes du marché immobilier :
- Marché actif, peu actif, biens rares ? -> incidence sur la période (1 an ½ ou plus) et le champ (zone géographique) de recherche des comparables
- Immobilier d’entreprise ou immobilier résidentiel ?
- Mutations à écarter : prix de convenance
- Exclusion des transmissions en DMTG, des ventes entre personnes ayant des liens affectifs.
NB : ne pas retenir les moyennes et tableaux indicatifs des publications, mêmes professionnelles.
- Mutations à retenir :
- Ventes antérieures au fait générateur, délai normal de vente, biens intrinsèquement similaires (et non pas strictement identiques)
1.C/ Les outils pour évaluer :
- Patrim : espace particulier impot.gouv
- Base DVF totale, DVF Etalab, https://cadastre.data.fr/dvf (cessions à partir de 2015)
- Base Notaire (abonnement/unités) : base Biens.
- Les principes généraux
2.A/ Les facteurs communs d’évaluation
- Les facteurs physiques :
- Surface :
- Surface hors œuvre (SHO) : sol + étages (surfaces de plancher)
- Coefficient d’occupation des sols (COS) : valorisation de la surface de construction résiduelle
- Coefficient d’emprise au sol (CES) : sol seulement (surface max de la construction)
- Surface utile (SU) : surface de plancher intérieure après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, escaliers. Surface la + couramment retenue dans les contrôles valeur.
- Surface utile pondérée (SUP) : surface habitable + dépendances auxquelles sont appliquées une pondération (ex : garage 0,5 ; combles 0,8 …). A utiliser pour les maisons comportant des dépendances exceptionnelles.
- Emplacement : critère déterminant
- Apprécier la situation particulière d’un immeuble en fonction de sa nature
- Nature et qualité des matériaux
- Vétusté et entretien :
- L’âge de la construction doit être pris en compte, tout comme son état d’entretien (en + ou en -).
Attention : ne pas confondre vétusté et amortissement (la valeur d’un immeuble totalement amorti ne correspond pas à sa valeur vénale).
- Performance énergétique
- Eléments d’équipement et de confort (catégorie cadastrale retenue par le CDIF pour la fixation de la valeur locative servant de base aux impôts locaux).
- Les facteurs juridiques
Notion d’écart significatif (notion jurisprudentielle.) : entre la valeur fixée par le contribuable et celle déterminée par l’administration fiscale. Les juges attendent, le plus souvent, un écart de l’ordre de 20%.
- Occupation : pour un immeuble bâti, distinguer immeubles libres/occupés.
- Une moins-value pour occupation peut affecter le bien. Un abattement de 10 à 20 % peut être appliqué si l’évaluation ne peut être faite à partir de termes de comparaison (TC) dans une situation locative comparable.
- Les experts et juges de l’expropriation retiennent de 20 à 30 %.
- Ces taux ne peuvent être appliqués de manière systématique et des circonstances particulières peuvent justifier l’application d’un taux inférieur ou supérieur.
- Indivision :
La Cour de cassation considère que la valeur vénale des droits indivis ne se confond pas avec la QP de la valeur vénale totale si le bien appartenait à un seul propriétaire (Com. 19/06/1990 n°867 P et 10/12/1996 n°2072 D). En l’absence de TC tirés de la cession de droits immobiliers indivis, l’application d’un abattement est possible.
Cependant, elle n’est pas systématique :
- 27/03/2019, n°18-10933 : couple marié sous régime de séparation de biens, propriétaires indivis de leur résidence principale, non séparés, pas de raison de vendre l’un sans l’autre : pas d’abattement appliqué ;
- 03/06/2021, n°13-18180 et 13-18192 : pas d’abattement pour un bien non affecté d’indivision lors de sa transmission et qui ne l’avait été que par l’effet de la donation, donc sans incidence sur sa valeur).
- Démembrement :
La détermination des valeurs respectives de la nue-propriété et de l’usufruit (art. 762-I du CGI) exclut la possibilité d’appliquer un abattement supplémentaire résultant du seul démembrement : Com. 24/06/1997, n°1686 P.
- Les facteurs économiques :
La valeur d’un immeuble dépend de ses possibilités de vente propres au marché local, propres à l’immeuble lui-même.
2.B/ La méthode par comparaison
La méthode par comparaison directe est préconisée. Elle est la plus couramment utilisée tant par les experts que par l’administration fiscale. Elle est validée par les juges.
Cette méthode s’appuie sur des données réelles du marché. Elle consiste à déterminer la valeur d’un bien par référence au prix de vente des autres biens qui lui sont comparables et qui présentent les mêmes caractéristiques.
L’évaluation d’un bien se décompose en 3 phases :
- Recherche des éléments particuliers du bien à évaluer,
- Sélection des mutations pouvant servir de TC,
- Déplacement sur le lieu de situation du bien quand c’est possible.
Conditions à respecter par l’administration lorsqu’elle remet en cause la valeur déclarée par le contribuable (les mêmes exigences sont attendues des experts par les juges) :
- Retenir des termes de comparaison (TC) de biens intrinsèquement similaires
- Des TC antérieurs au fait générateur de l’impôt
- Des TC en nombre suffisant (préconisation administration au moins 3)
2.C/ La méthode par le revenu
La méthode d’évaluation à privilégier est la méthode par comparaison (la méthode par le revenu n’est qu’une méthode de recoupement).
Elle consiste à rechercher la valeur d’un bien immobilier à partir de données concrètes : le revenu perçu ou le bénéfice que le propriétaire en tire.
- Par le loyer brut
Cette méthode ne s’applique qu’à des immeubles loués entièrement, dits de rapport (non applicable à un immeuble libre sur la base de revenus théoriques). Elle conduit toujours à une valeur « occupée ». Les revenus doivent avoir un caractère « normal » (selon le marché local).
- Valeur vénale = revenu brut de l’immeuble / taux de capitalisation.
Ce taux doit ressortir du marché locatif et ne doit pas être confondu avec le taux de placement. Il varie selon la nature du revenu (commercial, habitation) et la catégorie du bien.
A titre indicatif seulement, (à préciser en fonction de la conjoncture économique et du marché local), le taux peut être compris dans une fourchette allant de 4,5% à 9% pour les immeubles bâtis.
- Exemple : pour des revenus de 4 800 €, capitalisés à 3% ou 4%, valeur en capital de 160 000 € (4800/3%) ou 120 000 € (4800/4%).
- Par le bénéfice
- Valeur occupée = bénéfice / taux de rendement déflaté des OAT de l’année + prime de risque.
Attention : taux de rendement des OAT devenu très faible et peut donner des valeurs très importantes à tort, même corrigé d’un taux de risque raisonnable.
NB : dans les deux méthodes, pas d’abattement d’occupation supplémentaire puisque valeur occupée.
2.D/ La méthode par actualisation d’une valeur antérieure
La méthode par actualisation d’une valeur antérieure consiste à appliquer au prix ou à la valeur déclaré lors d’une mutation antérieure ou d’un acte juridique, un coefficient destiné à exprimer l’évolution de la valeur de l’immeuble depuis la mutation ou l’acte pris pour référence.
Elle ne peut être utilisée qu’en l’absence de termes de comparaison intrinsèquement similaires.
L’administration qui recourt à cette méthode doit la justifier et son application pratique doit être expliquée au contribuable.
Les tables de prix et de coefficients publiées par l’INSEE et les chambres de Notaires peuvent être utilisées dans ce cas seulement.
- Exemple (taux fictifs) : achat d’un appartement à Paris 16e le 14/03/1991 pour 5 000 000 Francs. Valeur en € : 750 000 €.
- Indice publié selon la base Bien pour les appartements anciens à Paris par arrondissement au 1er trim 1991 = 48,4.
- Indice au 4ème trimestre 2019 pour une évaluation au 01/01/2020 : 132,5
- Valeur actualisée = 750 000 x (132,5/48,4) = 2 053 202,48 €
Cette méthode est peu utilisée par les experts et les juridictions car elle comporte trop de risques d’erreurs, mais elle peut servir d’élément de recoupement.